Le Rite
Dans notre société du "zapping" permanent où l'image et l'information sont diffusées à une vitesse telle que l'attention des gens ne parvient plus à se fixer plus de quelques secondes sur un fait précis, les liturgies paroissiales prennent souvent, elles aussi, la forme d'événements éphémères sans cesse à recréer et à imaginer pour intéresser les fidèles et répondre à leur présupposées attentes.
Or une telle conception de la liturgie ne peut que mener à
des impasses et à des échecs. Car dès lors
que la liturgie est soumise au subjectivisme et à la prédominance
de l'émotionnel et de l'éphémère,
la célébration de l'Eucharistie est très
rapidement délaissée au profit de divertissements
qui n'ont plus rien à voir avec la liturgie.
"La liturgie se nourrit de répétitions solennelles",
écrivait le Cardinal Ratzinger... Seule une liturgie toujours
célébrée exactement comme l'Eglise demande
qu'elle soit célébrée - c'est-à-dire
selon une forme rituelle définie (qu'elle soit "ordinaire"
ou "extraordinaire") - est capable d'ordonner nos gestes,
nos chants, nos prières, nos attitudes, pour en faire
une action sacrée à la fois agissante et communicante.
Le rite liturgique, véritable héritage sacré et culturel, a pour objet de contrôler et de diriger la voix, les gestes et les mouvements de ceux qui sont chargés de mettre la liturgie en oeuvre, en sorte que ceux qui exercent leur ministère à l'autel apprennent à se faire les plus discrets possible, les plus transparents paossible, en sorte que ce soit le mystère du Christ toujours vivant qui puisse atteindre les fidèles sans subir la moindre altération.
La fonction normative du rite (le rite n'explique pas mais contrôle
et permet l'efficacité de la liturgie) n'est plus guère
comprise de nos jours. Voilà pourquoi les fidèles
qui demandent à temps et à contretemps que la liturgie
soit partout respectée, sont aujourd'hui considérés
comme des "nostalgiques"... ce qui signifie, dans la
bouche des pasteurs diocésains, qu'ils sont "à
côté de la plaque".
Mais depuis quand la "nostalgie" de ce qui est Beau,
Bien et Vrai en liturgie serait-elle devenue un péché
aux yeux des clercs?
Bien entendu, si la nostalgie n'était qu'un sentiment
poussant à nous attacher uniquement à la transmission
de choses ou de paroles du passé, alors elle serait une
erreur. Cette nostalgie-là serait même en opposition
à la véritable notion de Tradition, telle que l'Eglise
l'entend (1). Mais si la nostalgie nous pousse à nous
tourner vers le passé évangélique pour en
faire un phare éclairant l'avenir, alors elle est juste
et absolument nécessaire: cette nostalgie-là est
le fleuve vivant dans lequel les origines de notre foi sont toujours
vivantes; elle est ce fleuve qui nous conduit aux portes de l'éternité
(1) et fait de nous des "gardiens de l'avenir", selon
une belle expression du Cardinal Decourtray.
En liturgie, la "nostalgie" des rites n'a rien à voir avec une conservation de ce qui apparaît obsolète. Elle est plutôt un pragmatisme qui pousse le fidèle à conserver des usages destinés à des fins particulières qui sont de l'ordre de la révérence due à Dieu. Ainsi peut s'expliquer la conservation du latin, du chant grégorien, de l'orientation de la prière... de tous ces éléments qui permettent de signifier très clairement la dimension sacrée et théocentrique de notre liturgie romaine.
Le fidèle catholique attaché à la liturgie de l'Eglise avant d'être respectueux de la façon de célébrer du curé de la paroisse, n'est en aucun cas un "nostalgique" ou, comme l'ont souvent répété certains clercs dédaigneux, un "ritualiste".
A ceux qui traitent de "ritualistes" les fidèles simplement attachés à la liturgie définie par le Magistère, il faut rappeler qu'il n'y a jamais eu pires "ritualistes" dans l'Eglise, ces dernières années, que ceux qui, après avoir refusé de suivre les normes liturgiques données par le missel romain, ont passé leur temps à inventer de nouvelles pratiques qu'ils ont imposées à des paroisses entières en s'appuyant sur la collaboration de fidèles laïcs d'autant plus suivistes qu'ils n'avaient jamais eu de solide formation liturgique.
La grave crise liturgique actuelle s'enracine dans une crise
du symbolisme liturgique née dans le sillage la disparition
programmée des rites. Les rites ayant disparu, ayant été
effacés de la mémoire d'une majorité de
fidèles encore pratiquants, on l'a remplacé par
le sens symbolique donné à l'individu (le célébrant
concentré davantage sur l'assistance que sur l'autel,
l'animatrice liturgique qui s'agite derrière son micro,
le lecteur auquel on a appris à prendre des tons de voix
empruntés... ) ou au groupe (qui a "préparé"
la célébration... ) ou encore à l'assemblée
locale qui impose ses goûts.
Le sens de la célébration liturgique est alors devenu aussi fluctuant que la communauté, puisqu'il lui est immanent. L'Eucharistie a été transformée en une donnée purement subjective, ce qui a invariablement conduit à imaginer que tout fidèle laïc mandaté par la communauté pourrait validement, à défaut de ministre ordonné, prononcer les paroles de la Consécration sur le pain et le vin.
Ce n'est que lorsque la liturgie est dominée par la pensée objective établie sur des rites stables, et non par des sentiments subjectifs, qu'elle est unifiante et édifiante par sa forme et son contenu. (2) A l'inverse, lorsqu'une célébration ne s'appuie plus que sur le zèle des participants, elle devient distrayante dans le meilleur des cas, mais plus généralement culpabilisante et étouffante: il faut toujours fuir ces pseudo-liturgies pour ne pas risquer de verser dans des comportements névrotiques.
Invité à Paris, le Cardinal Schönborn, Archevêque
de Vienne (Autriche), faisait remarquer: "Il serait sûrement
possible de faire une longue litanie de ces constats qui révèlent
la crise [liturgique] et qui expliquent pourquoi les liturgies
paroissiales n'attirent plus guère. Mais, pourrait-on
répondre, il y a pourtant partout, dans toutes les paroisses,
des gens pleins de bonne volonté qui essaient de rendre
les liturgies plus attrayantes, plus "vivantes" comme
on dit actuellement. Au risque de choquer, il faut dire que c'est
précisément de là que vient le problème.
Il a été précisé (...) à plusieurs
reprises que la liturgie ne vient pas de nous, qu'elle n'est
pas soumise à notre "bonne volonté".
Nous ne devons donc pas être les fabricants de liturgies
que nous imaginons être plus attrayantes et plus vivantes,
mais les serviteurs fidèles d'une liturgie qui est ce
qu'elle doit être et non pas telle que nous imaginons qu'elle
devrait être."
Les expériences menées sous couvert de "pastorale
liturgique" durant ces 40 dernières années,
montrent suffisamment que les meilleures intentions du monde
pour relever l'état actuel des célébrations
dominicales sont, à chaque fois, tombées complètement
à plat.
Et tout porte à croire que bon nombre de projets actuels visant à redynamiser les paroisses devenues moribondes à force d'avoir eu à s'adapter à pléthore de d'orientations pastorales mirobolantes, ne font qu'annoncer déjà de nouvelles faillites.
(1) cf. BENOÎT XVI, Audience générale
du 26 avril 2006.
(2) d'après Romano GUARDINI
A découvrir aussi
- Confession d'un curé en 1971
- Jean-Marie Paupert, pourfendeur du progressisme épiscopal
- En France, les évêques sont responsable de la crise que vie l'Eglise
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 28 autres membres